J’étais loin, très loin de connaître Borthwick comme ma poche, j’avais même du mal les premières semaines à ne pas me perdre en faisant le trajet entre mon appartement et l’école élémentaire où j’effectuais mon remplacement, et j’avais mis cinq jours complets à trouver cette fichue bibliothèque, mais le premier lieu que j’avais appris à trouver, et à apprécier était le Birdie’s Café. La propriétaire était on ne pouvait plus sympathique, et raison supplémentaires, ses desserts étaient divins. J’avais pris l’habitude de passer régulièrement devant ce café, y emmenant même mes copies à corriger quand mon grand appartement me semblait trop vide.
Plus tôt dans l’après-midi, j’avais fait une petite ballade le long de la jetée, pour respirer l’air marin, et depuis mon ventre criait famine. J’avais envie d’une bonne part de tarte aux pommes encore tiède, avec une boule de glace à la cannelle et un thé blanc pour l’accompagner. Quand je poussais pas porte vitrée pour entrer dans le café, je aperçu qu’il était presque vide. Un couple de personnes âgées au fond, trois jeunes adolescentes, et Wayne avec une quantité astronomique de nourriture posée devant lui. Il avait essayé de m’aborder à nouveau après notre première « rencontre », mais à chaque fois, ses propos étaient on ne pouvait plus décousus. Je n’avais aucune idée de ce qu’il avait derrière la tête, mais je l’évitais tant que je pouvais. J’allais vers le bar commander ma gourmandise du jour, et mon assiette et ma tasse à la main, je pris place sur une des banquettes près de la rue, pour pouvoir observer les gens passer.

«Puis-je ?»
Je levais la tête, Wayne était debout en face de moi, ses deux assiettes et sa tasse en équilibre précaire le long d’un de ses bras. Je ne l’avais même pas entendu arriver. Avant que j’ai le temps de répliquer que j’étais très bien seule, il prit place sur la banquette en face de moi. J’aurai pu changer de table, ou demander à Birdie qu’elle m’emballe mon morceau de tarte et mette mon thé dans un gobelet en carton, mais j’étais bien là où j’étais. Et je ne comptais pas le laisser gâcher mon après-midi. Il me regarda en souriant, fier de son coup.
« On a pas vraiment eu le temps de discuter la dernière fois.. Que viens-tu faire à Borthwick petite Jane ? »
Il prit son burger entre les mains et en prit une énorme bouchée. Il n’avait qu’à l’avaler en entier tant qu’à faire. Je n’avais presque plus envie de ma part de tarte quand je voyais le bacon et les œufs sur son assiette. Mais j’empoignais quand même ma fourchette et mis un morceau de tarte dans ma bouche.
« Tu m’as l’air bien curieux aujourd’hui … sur que tu ne veux pas évoquer le vent de nord-est qui souffle dehors ? »
Je jouais un peu ma garce, oui je l’avoue. Je n’étais pas comme ça en général, mais il allait bien falloir qu’il comprenne qu’il ne m’aurait pas dans son lit. Point.

Je le vis se mordre la lèvre inférieure, on dirait vraiment qu’il n’avait pas l’habitude de voir des femmes se refuser à lui. Il fallait avouer qu’une fois rasé, il devait surement être un bel homme, mais franchement, attraper des filles avec le coup du plan et de la visite de la ville ? Est-ce qu’il existait vraiment encore des filles aussi naïves sur Terre ?
« On a pas vraiment eu le temps de discuter la dernière fois.. Que viens-tu faire à Borthwick petite Jane ? »
Il lui restait un hamburger et demi. Comment pouvait-il manger salé en plein milieu de l’après-midi ? Heureusement qu’il fit signe à l’une des serveuses de lui préparer un doggy bag avec ses restes, c’était ça en moins qui trainerait sur la petite table. Je pris une bouchée de tarte en plus avant de lui répondre.
« Disons que je sais reconnaître un homme qui cherche absolument à mettre une femme dans son lit, et que ce n’est pas vraiment ce que je recherche. »
Même si en réalité, je n’avais aucune idée de ce que je pouvais bien chercher. Ma dernière relation devait remonter … à bien un an en fait. Tellement longtemps ? C’en était presque effrayant. La serveuse déposa une autre tasse de café noir devant lui. Il n’avait pas demandé de sucre. Tout mon contraire, je ne jurais que par le sucré. Je pense même que je serai capable de manger un repas fait uniquement de desserts, sans avoir mal au ventre par la suite.

« J'vais pas te mentir, j'y avais pensé. Mais rassure toi, j'ai changé d'avis.»
On y était, un peu d’honnêteté. Même si pour le coup, je ne comprenais pas ce qu’il faisait en face de moi une tasse de café à la main, si ce n’était pas pour me mettre dans son lit. J’avais presque fini ma part de tarte, encore deux bouchées.
« Et tu recherches quoi exactement ? Un prince charmant sur son cheval blanc ? »
Je ne pus m’empêcher de lever la tête vers lui et de hausser les sourcils. Il n’avait pas vraiment tord, je pense qu’au fond, je cherchais la perfection, même si je me doutais que je ne la trouverais jamais. Est-ce que j’étais vraiment aussi prédictible que lui ? Je choisis d’ignorer cette question et de répondre à la toute première qu’il m’avait posé.
«Je remplace l’une des institutrices de la primaire, qui est en congé maternité pendant à peu près un an.»
J’enfournais le dernier bout, accompagné d’un peu de glace.
« Tu t’es déjà fait toutes les filles en ville que tu essayes les nouvelles maintenant ?»
J’étais un peu moins hostile, de toute façon, rien ne pouvait m’arriver ici. Mais j’avais envie de continuer à le taquiner un peu, juste pour le plaisir.

« Je suis flatté que tu puisses penser que j'ai déjà couché avec toutes les femmes de Borthwick. Vraiment flatté. Mais non, ce n'est pas le cas. »
Le but n’était pas vraiment de le flatter. Plus de l’enquiquiner. Mais ça n’avait pas vraiment semblé marcher. Je reposais ma fourchette sur mon assiette vide et but une longue gorgée de thé. Température parfaite, suffisamment chaud pour me réchauffer mes mains, mais pas assez pour me brûler la gorge. Wayne restait assis en face de moi, à me regarder, sa propre tasse entre ses mains. Est-ce qu’il cherchait vraiment à faire la conversation ? Je continuais à avoir des doutes. Les dragueurs ne pouvaient s’empêcher d’être eux-mêmes. Il n’y avait que dans les séries tv qu’ils tombent amoureux de l’héroïne et qu’ils changent complètement pour elle. Je finis ma tasse de thé en une autre longue gorgée. J’allais partir, en lui souhaitant une agréable après-midi, et rentrer chez moi, m’installer devant la fenêtre donnant sur la mer et commencer un bon polar, j’avais un Harlan Coben qui m’attendait sagement sur le canapé. Mais Wayne me surpris et se leva en premier, laissa un billet de cinq dollars sur la table et me tendit son bras.
« On va faire un tour ?»
« Donne moi une bonne raison de te suivre, peut-être que je le ferai. »

Il ne me répondit même pas, me forçant en quelque sorte à me lever et m’attrapant par l’épaule. J’eus à peine le temps d’attraper mon sac à main et mon manteau.
« Alors petite Jane, comme ça tu es institutrice ? Depuis combien de temps ? »
J’avais l’impression qu’il nous dirigeait vers le port, mais en empruntant un chemin différent que celui par lequel j’étais arrive au café un peu plus tôt. J’essayais de prêter attention au nom de rues pour m’en souvenir. Encore une fois, je répondis à sa question par une autre question.
« Et toi Wayne, qu’est-ce qui te pousse à commander un petit déjeuner anglais et deux burgers à deux heures de l’après-midi ? »
Alors qu’il était un peu remonté dans mon estime, il recommençait à m’agacer. C’était plus fort que lui son besoin de charmer et cette manière de l’appeler « petite », même si par la taille, elle l’était réellement. La grande rue qu’on était en train d’emprunter était pleine de gens assis à la terrasse, une glace devant eux. Ce n’était pas encore la saison pour moi malgré le grand soleil, on n’était qu’en mars après tout.

«Franchement je crois que je peux mourir heureux. Petite Jane, t'as l'air de t’intéresser à moi quand même, non ? Ne serait-ce qu'un peu ! »
Je voulais détourner son attention de moi, pour qu’il arrête de me poser des questions personnelles. Dans un sens, j’avais réussi. Sauf que l’effet inverse s’était produit, il pensait que je m’intéressais à lui. J’hésitais presque à ouvrir la bouche maintenant. Son bras autour de mes épaules aurait pu être agréable mais c’était aussi un signe de possession, ce qui ne me convenait pas du tout. J’essayais de ma dégager de son emprise, mais il était plus grand et ne parut même pas se rendre compte que la situation ne me convenait pas.
« J'ai quitté mon lieu de travail à 5h30 ce matin. »
Ca voulait dire qu’il travaillait de nuit, rien de plus. Il répondait à ma question sans vraiment me fournir la réponse attendue, il était malin. Il semblait vraiment se sentir à l’aise dans cette ville, il saluait la plupart des personnes que nous croisions. Il avait l’air apprécié. Je décidais de répondre à sa dernière question.
« C’est ma troisième année en tant que professeure des écoles. »

« D'où tu viens exactement ? »
Je cherchais encore à savoir pourquoi il me posait tant de questions, pourquoi il s'intéressait à moi, pourquoi il tenait tant à me connaître. Juste parce que j'étais nouvelle en ville ?
« C'est pas vraiment équitable si je réponds à tes questions et si tu restes évasif aux miennes ... c'est donnant/donnant. »
Je laissais passer une minute ou deux, et voyant qu'il ne ripostait pas, je continuais sur ma lancée. Le but ? Le trouver moins énervant, voire plus sympathique, vu qu'apparemment, lui ne comptait pas me laisser tranquille.
« Qu'est-e que tu fais dans la vie ? »
ON s'approchait de plus en plus du port, est-ce là qu'il comptait me mener. A moins que son appartement était sur le chemin, et qu'il voudrait m'y faire monter. Dans ce cas, je n'hésiterais pas à lui mettre mon poing dans la figure pour lui faire comprendre que ça ne me convenait pas.

« J'suis barman. Mais j'aime ce métier puis il n'est pas à la portée de tout le monde.»
Pas à la portée de tout le monde ? Je ne peux m’empêcher d’hausser un sourcil. Mon frère aîné avait été barman deux étés de suite, et m’avait toujours dit qu’une fois les cocktails de la carte retenu, ce n’était pas un métier plus difficile qu’un autre. Mais je ne dis rien, continuant de marcher à ses côtés. Au bout de trois minutes, il s’arrêta devant la porte d’un immeuble.
« Bref, c'est chez moi. On monte ? »
Mes yeux durent transcrire exactement la fureur qui montait en moi, car il sourit d’un coup tout en se protégeant le visage avec les mains.
«Je rigole, détends-toi.»
« Et bien je ne trouve pas ça drôle du tout ! Sache le ! »
Et en ce moment, j’avais surtout envie de lui fausser compagnie. Surtout qu’il ne me tenait plus collée à lui, c’était le moment ou jamais.
« Mais comme tu es arrivé chez toi, je pense que je vais faire de même et regagner mon appartement. Bonne journée Wayne. »
Ni accolade, ni embrassade. On ne se connaissait pas suffisamment pour ça. Mais je lui fis un petit signe de la main, pour la forme. Tout en tournant les talons.